Critique du rapport McKinsey pour la stratégie REDD en RDC (Alain Karsenty)
Commentaires sur le rapport « Potentiel REDD + de la RDC » préparé par le cabinet McKinsey pour le gouvernement de la RDC
Alain Karsenty, Cirad
22 décembre 2009
Ce rapport daté de décembre 2009 rédigé dans un laps de temps relativement limité (quelques semaines entre octobre et novembre 2009) afin d’être disponible avant le sommet de Copenhague, a été rédigé par le Cabinet McKinsey. Il se propose d’évaluer et d’analyser le potentiel réel de réduction de la déforestation et de la dégradation pour permettre l’élaboration d’une stratégie REDD + « plus complète ».
On doit mettre à l’actif de ce rapport la prise en compte explicite des facteurs structurels de la déforestation, qui se situent souvent en dehors du secteur forestier, et la place importante accordée à la question de l’agriculture. En revanche, et outre le problème de la fiabilité très limitée (sinon l’inexistence fréquente) des données, on peut considérer que le rapport sous-estime terriblement un certain nombre de contraintes sociales, politiques et institutionnelles – et les coûts de transaction correspondants – qui rendent peu crédibles bon nombre des coûts de mitigation avancés (qui sont, dans la plupart des cas, invérifiables, faute de détails sur les modes de calcul précis). En outre, la méthode retenue pour évaluer le potentiel de mitigation, fondée sur des « réductions de la déforestation par rapport à un scénario de référence » est extrêmement contestable d’un point de vue méthodologique (invérifiable par nature) et conduit à des raisonnements qui confinent, dans plusieurs cas, à l’absurde et évacue les questions d’équité associées à ce type d’argumentation.
Une prise en compte bienvenue de l’agriculture mais des méthodes de calcul discutables doublés d’une sous-estimation manifeste des coûts de transaction
Le rapport sur la RDC adopte une approche un peu différente de celle qui a été adopté dans le rapport général de McKinsey « Pathways to a low-cabon economy » (2009) ; ce dernier se basait, en ce qui concerne les activités de réduction de la déforestation, sur les coûts d’opportunité de la réduction de la déforestation, coûts d’opportunité associés à diverses activités agricoles ou pastorales comme l’agriculture d’abattis-brûlis, l’agriculture intensive ou l’élevage extensif. A ces coûts d’opportunité venaient s’ajouter des coûts estimés de supervision des programmes REDD (et les coûts de gestion des forêts préservées), mais pas de coûts de transaction (coûts d’infrastructures et de construction institutionnelle nécessaires pour la mise en œuvre du programme, coûts de conclusion et de contrôle des contrats de déforestation évitée…). Le rapport RDC tente de prendre en compte, en plus des coûts d’opportunité, les coûts des programmes d’intensification agricole, de distribution de foyers améliorés (bois de feu), etc. Mais le rapport ne donne pas le détail des calculs, ni le coût total des différent programmes envisagés (seuls sont données des valeurs ramenées à la tonne de CO2).
L’annexe méthodologique précise que « les coûts de mitigation comprennent les remboursements annualisés des investissements en capital et des frais opérationnels ». L’ensemble des coûts (d’opportunité et d’investissement) ont été annualisés et actualisés (à 4%). Pour les coûts d’opportunité, il s’agit d’une logique de compensation financière. L'exemple qui est fourni en annexe, p. 55, est celui de la réallocation de terres à un agriculteur intensif dans une zone « à moindre densité carbonique » (que la forêt dense humide où il exerce ses activités actuellement) ; comme le producteur « devra encourir des frais plus importants (engrais, semences, travail de la terre) pour planter, (…) ses rendements seront inférieurs. Le coût de ce levier de mitigation est la perte de bénéfice engendrée ».
Cet exemple permet de comprendre un des facteurs qui permet aux auteurs d’afficher des coûts de mitigation relativement bas. La compensation ne porte pas sur l’ensemble du revenu du producteur mais sur la différence entre le revenu net en zone humide et celui (net, c'est-à-dire en prenant en compte les coûts supplémentaires liés aux engrais, semences et main d'œuvre) qu’il aurait en zone de savane. Mais ce choix, qui permet d’afficher un coût modéré, a un revers. La réallocation des terres (et donc des producteurs) engendrera des coûts de transaction très élevés : à moins d’une hypothèse (inacceptable) de « déguerpissement » pur et simple, il faudra acheminer les producteurs sur de nouvelles zones, trouver des arrangements fonciers avec les ayants droit coutumiers locaux (donc éventuellement les compenser), et assurer des débouchés pour les productions agricoles futures de ces producteurs relocalisés dans des zones qui ne seront sans doute pas pourvues en infrastructures de transport. Malheureusement, par choix méthodologique, le rapport ne prend pas en compte les coûts de transaction dans le calcul des couts d’abattement : « Le coût total de mitigation estimé ici n’inclut pas l’ensemble des coûts de transaction, de communication et d’information, les subsides ou coûts « carbone », ou les impacts conséquents sur l’économie. Ces coûts dépendent de choix politiques et ne font pas part de cet exercice ». Il faut donc être très prudent avec les ordres de grandeur des « coûts de mitigation » avancés dans ce rapport. Outre la qualité très incertaine des informations recueillies (en l’absence de données fiables les estimations de coût ont été élaborées principalement à partir d’entretiens), la méthode retenue, qui consiste à laisser de coté les coûts de transaction pour se concentrer sur les seuls coûts d’opportunité et ceux de programmes de mitigation (coûts qui ne sont d’ailleurs pas détaillés) est peu adaptée à un pays comme la RDC où, précisément, les coût d’opportunité sont faibles (car la population rurale est pauvre[1]) mais où les coûts de transaction sont très élevés (du fait notamment de la faible qualité des institutions).
L’usage extrêmement discutable des « prévisions » (baselines)
Le rapport propose un scénario de référence « business as usual » (BAU) à l’horizon 2030 qui prévoit une accélération de la déforestation à partir de 2010, avec un déboisement annuel de plus de 400.000 ha par an (contre 360.000 ha dans la période 1990-2007). Les facteurs de cet accroissement de déforestation sont, sans surprise, l’augmentation de la population, la croissance d’une agriculture commerciale extensive, l’agriculture intensive en forêt dense et les activités minières et pétrolières. Une telle estimation semble plausible, les facteurs mentionnés étant incontestables, sans que la prévision « plus de 400.000 ha déboisés par an » puisse avoir une autre valeur qu’indicative.
L’utilisation de la logique du « scénario de référence » (ou baseline) pour l'exploitation forestière mérite, en revanche, que l’on s’y attarde.
La foresterie industrielle et artisanale représenterait 4% du potentiel total de mitigation en 2030 « grâce à la réduction des volumes d’exploitation par ha à des niveaux d’exploitation durable et à émissions très limitées (de 15 m3 par ha à 10 m3 par hectare) » (p. 28). Ce chiffre de 15 m3 par ha a été avancé p. 19 comme scénario de référence (prévision) pour 2030 : « L’exploitation industrielle exploite un volume déclaré actuellement faible (entre 3 à 5 m3/ha/an sur la parcelle exploitée) ; qui pourrait toutefois monter jusqu’à 15 m3/ha/an en 2030, cette augmentation résultant (i) d’un accroissement de la demande régionale en bois d’œuvre, (ii) d’un élargissement du panel d’essences exploitables, (iii) d’une amélioration des réseaux d’évacuation ». En page 28, le rapport indique « Les coût unitaires (€ 2 à 2,5 / t CO2e) représentent le coût nécessaire pour rendre cette exploitation « soutenable ». Le coût unitaire final prend donc en compte le coût d’opportunité associé au volume que l’on n’extrait plus, les coûts supplémentaires pour certifier la gestion durable (volume exploité et réduction de la mortalité associée à l'exploitation) et les coûts de surveillance et de la gestion de l’initiative ». Ce raisonnement appelle plusieurs commentaires :
- La « soutenabilité » n’est vue que sous l’angle étroit du carbone, pas de la régénération des essences commerciales ni de la diversité biologique. Si l’on adopte un point de vue plus global, on ne voit pas en quoi une exploitation de 3 ou 10 m3 par hectare serait soutenable et pourquoi elle ne le serait pas à 15 m3 ? On peut penser qu’une exploitation de 3-5 m3 par ha qui ciblerait uniquement une poignée d’essences de haute valeur et à la régénération difficile (ce qui est, grosso modo, le cas actuellement) est bien moins durable qu’une exploitation de 15 m3 par hectare avec des techniques à impact réduit et avec une meilleure répartition des coupes entre les essences commerciales disponibles.
- La « prévision » d’une exploitation à 15 m3 par ha à l’horizon 2030 est très contestable. Ce sont essentiellement les coûts de production et de transport qui contraignent l’intensité de l'exploitation, en RDC comme ailleurs. En RDC, la rupture de charge à Kinshasa entre le fleuve et le transport terrestre, la saturation chronique du port de Matadi et les « frais administratifs » liés à la parafiscalité et aux transactions permanentes qu’il faut avoir avec des acteurs locaux dépourvus de moyens d’existence, rend très improbable une baisse des coûts qui serait de nature à permettre la multiplication par 3 ou 5 des récoltes moyennes. Au Cameroun, où les coûts de production et de transport sont inférieurs à ceux de la RDC, la récolte moyenne est d’un peu moins de 10 m3 par hectare sur les concessions. Il est même peu probable que les exploitants de la RDC puissent en 2030 simplement atteindre les niveaux de récolte moyens à l’hectare du Cameroun en 2009.
- Le principe de compenser les exploitants pour limiter l’intensité anticipée de leurs récoltes en projetant des valeurs improbables est absurde, et montre parfaitement comment la logique de la baseline crée artificiellement du « potentiel » de mitigation (et, plus généralement et en cas de recours au marché, des crédits carbone douteux). Si une telle proposition était considérée, cela reviendrait à subventionner les exploitations forestières pour continuer à faire ce qu’elles font actuellement en termes de niveau de prélèvement, et tant qu’elles ne prélèvent pas 15 m3 par ha en moyenne, alors qu’il est très vraisemblable qu’elles ne pourraient pas, en tout état de cause, atteindre ces niveaux !
- Même si l’on souscrivait à l’hypothèse d’un « risque » d’augmentation des récoltes à 15 m3 à l’horizon 2030 et que l’on considérait que ce niveau comme « insoutenable » (ce qui, comme on l’a vu, reste à prouver), il serait bien plus approprié de proposer au gouvernement de modifier les règles sylvicoles – en limitant par exemple le nombre de tiges ou le volume légalement exploitables à l’hectare – que de « compenser » les exploitants (qui peuvent être, hors période de crise, à peu près rentables à 5 m3 ) pour des volumes non réalisés parfaitement hypothétiques !
On peut formuler les mêmes réserves sur le « levier de mitigation » relatif à l’agriculture commerciale intensive « destinée principalement à l’export (huile de palme en particulier). Le « potentiel de réduction [est] d’environ 80 Mt CO2e (19%) ». Malheureusement il s’agit, là encore, non pas d’une vraie réduction mais d’une réduction par rapport à une prévision, c'est-à-dire hypothétique. Le rapport indique « Cette mitigation découle de la réalisation en savanes arbustives ou mosaïques savanes-forêts de nouvelles plantations [de palmier à huile] qui auraient été établies [souligné par moi] dans des forêts primaires (causant une déforestation de 1,6 à 3 millions ha dans le scénario de référence) ». En d’autres termes, le gouvernement pourrait allouer de grandes superficies de forêts primaires à des investisseurs agro-industriels en vertu du fait que les forêts appartiennent à l'État (mais au mépris des droits de possession des populations locales mentionnés par le Code Forestier) mais il s’abstiendra de le faire et les orientera vers des zones de savane, réduisant ainsi la déforestation… par rapport au scénario de référence. Cette fourchette de 1,6 à 3 millions d’ha a sans doute été inspirée par différents chiffres qui ont circulé dans la presse internationale (on a parlé de 2,8 millions d’ha) à propos de contrats négociés avec des investisseurs asiatiques pour des plantations de palmiers à huile, sans d’ailleurs qu’aucune confirmation officielle n’ait été apportée, ni que des réalisations tangibles ne soient observables sur le terrain.
Encore plus discutable est la manière dont le rapport envisage le coût de ce « levier de mitigation » : « Les coûts unitaires pour le placement des nouvelles plantations en savane arbustive ou mosaïque savane-forêt est d’environ € 13 / t CO2e, soit l’équivalent d’une diminution des marges de l'exploitant [souligné par moi] due à la baisse des rendements et à l’augmentation des coûts de production dans ces écosystèmes plus arides et moins fertiles ». Là encore, le raisonnement confine à l’absurde : alors que l’on ignore la réalité de contrats qui auraient pu être passés avec des investisseurs (et dont l’annulation ou la modification pourrait justifier des compensations, en accord avec le droit des contrats), le rapport envisage de compenser de compenser ces hypothétiques investisseurs pour ne pas détruire des forêts primaires que le gouvernement pourrait leur donner si ces investisseurs lui demandaient ! On voit tout de suite que l’intérêt de tels investisseurs serait de demander les forêts les plus riches (en carbone) du Congo et le plus d’hectares possibles pour être « compensés » pour un « placement en savane ». On retrouve le problème du statut des scénarios de référence, tels qu’on avait déjà pu le voir dans le cas du Guyana début 2009 (et déjà préparé par McKinsey) : on ne sait plus très bien s’il s’agit de « prévisions » ou de menaces. En suggérant, un peu ingénument, de subventionner des firmes internationales d’agrobusiness pour éviter qu’elles ne fassent ce qu’elles pourraient faire dans une hypothétique situation d’avenir, le rapport démontre l’absurdité des raisonnements fondés sur des réductions « par rapport à une prévision ». On peut, en outre, s’étonner du peu de cas que les auteurs manifestent à propos d’évidentes considérations d’éthique (en dehors du champ du rapport ?), considérations que l’on ne peut manquer de soulever à propos d’une telle proposition implicite (de rémunération de puissants groupes économiques) dans un pays, la RDC, où règne une extrême pauvreté et où la lutte contre cette pauvreté devrait rester au centre des politiques publiques.
Les autres volets de la stratégie : un catalogue de mesures qui ignore les obstacles structurels aux réformes et à la gestion durable
Les options identifiées par le rapport sont toutes pertinentes et abordent les véritables causes de la déforestation en RDC. Ces options sont partagées par de nombreux analystes et leur identification évite de laisser croire qu’il suffirait de payer les agents économiques au niveau de leurs coûts d’opportunité (de l’abandon de la déforestation) pour qu’ils cessent leurs pratiques conduisant au déboisement ou à la dégradation. Malheureusement, le rapport se contente d’une énumération de ce qu’il faudrait faire, sans dire comment le faire ni surtout analyser la nature des obstacles sociaux, politiques et institutionnels qui font obstacle à la mise en œuvre de mesures nécessaires et qui sous-tendent les difficultés du développement en RDC, malgré l’importance des sommes versées à ce pays au titre de l’aide publique au développement.
Le rapport identifie également une option de mitigation dans la réduction de l’exploitation illégale. Ce potentiel est estimé à « 22 à 23 Mt CO2e (5%) ». Une telle précision étonne, alors que personne n’a d’idée bien précise sur les volumes de bois coupés illégalement en RDC ! Quant à la déclinaison en actions, on est plus proche d’un catalogue que d’une stratégie : « éradication de l’exploitation illégale à destination des pays voisins (Rwanda, Burundi, Ouganda) grâce au renforcement des contrôles d’ici 2030 (…) », « convertir l’exploitation illégale destinée aux marchés locaux en exploitation durable locale », « reforestation pour fournir durablement du bois d’œuvre de moindre qualité aux marchés locaux ».
L’afforestation (ou boisement) « sur des aires marginales (savanes arbustives et mosaïques savanes forêts de l’ordre de 7 millions ha ») représente, dans le rapport, un important potentiel de réduction des émissions, puisqu’il compte pour 15% du total. Les coûts, divisés entre coût initiaux et coûts récurrents, sont estimés à 3 € / tCO2pour une technique de boisement « à haute intensité de main d'œuvre », d’une part, et à 4 € pour une technique mécanisée. On peut penser que ces données ont été inspirées par les données des projets agroforestiers du plateau Batéké (Ibi et Mampu). Là, le potentiel évoqué semble plus tangible, à condition que la contrainte foncière, celle portant sur les droits de propriété, soit levée, soit grâce à la constitution de la propriété privée (concessions foncières perpétuelles), soit par des accords avec les différents niveaux de chefs coutumiers. Cette contrainte foncière est ignorée également pour l’activité de reboisement « dans 4 millions ha de forêts dégradées ou « déforestées ». Or, en Afrique centrale comme dans beaucoup d’autres pays africains ou tropicaux, l’ambigüité pesant sur les droits fonciers que peuvent exercer ou non les acteurs locaux est de nature à compromettre de nombreux projets de boisement et reboisement. Les coûts de clarification des droits fonciers (et des inévitables conflits qu’une telle entreprise ne manquera pas de susciter) ne sont pas mentionnés dans le rapport. Ils sont sans doute considérés comme des « coûts de transaction » en dehors du champ de l’étude. Il est bien mentionné p. 37 « le lancement d’une réforme foncière nationale basée sur les expériences en cours et intégrant le projet de ‘zonage’ déjà évoqué », mais ceci n’est que le sous-module d’une activité de réforme institutionnelle qui est mise au même niveau que les « jobs descriptions ».
Le Volet II s’intitule « Développement accéléré d’une agriculture performante en milieu rural forestier, en collaboration entre le MECNT et le Ministère de l’Agriculture ». Il concerne, d’après le rapport, 40 % du potentiel de réduction. Il est fondé sur l’accroissement de la productivité et la sédentarisation des agriculteurs vivriers, d’une part, la hausse des rendements et l’augmentation de la valeur ajoutée pour l’agriculture commerciale des petits exploitants, d’autre part. Le tout est complété par un « développement maîtrisé de l’agriculture intensive ». Il est indiqué p. 42, que de tels programmes ont été déjà testés dans des pays tels que l’Ethiopie, l’Inde ou le Maroc. On pourrait pointer l’absence dans le rapport de nombreux instruments et institutions, comme le crédit rural, des systèmes d’assurances en cas de pertes de récolte, des infrastructures de stockage et de transport, des prix agricoles minimaux garantis, etc., qui sont largement reconnus comme indispensables au développement rural, aux côtés des semences et des engrais que mentionne le rapport. Mais l’essentiel n’est pas là : les propositions formulées n’ont guère de spécificité pour la RDC et les obstacles potentiels (foncier, corruption, absence d’entreprises « agrégatrices », état des infrastructures, etc.) ne sont pas analysés. Cette absence ne peut être reprochée aux auteurs du rapport qui ont été contraints par le temps, mais on peut penser que la faible connaissance des ces obstacles structurels relativise beaucoup la fiabilité des estimations des coûts de mitigation pour cette activité.
Le volet « bois de chauffe » propose une double stratégie de boisement/reboisement (dont nous avons déjà parlé) et une distribution à grande échelle de foyers améliorés pour la cuisson. Une telle proposition fait certainement partie des actions à entreprendre, mais on sait que d’autres pays ont déjà tenté une telle option, avec des résultats qui, sans forcément être décevants, n’ont pas entraîné de résultats si spectaculaires qu’ils fassent partie des success stories évoqués sur les plateaux de télévision et les tribunes onusiennes. Là encore, une analyse des contraintes reste à faire pour qu’une telle proposition soit d’une quelconque utilité aux décideurs politiques.
La place modeste accordée aux paiements des acteurs locaux
Alors que la plupart des rapports et analyses concernant la « déforestation évitée » (REDD) envisagent un large (sinon exclusif) recours à des instruments de type paiements pour services environnementaux, qui consistent à rémunérer les acteurs locaux pour, soit la réduction de la déforestation, soit pour la conservation des forêts qu’ils utilisent. Le rapport indique (p. 38) :
« Afin d’assurer une mise en œuvre réussie sur le terrain et de minimiser les coûts des transactions, il importe de définir et de mettre en place un mécanisme transparent de partage des revenus entre (i) les différents secteurs économiques (ii) les institutions publiques aux niveaux central, provincial et local, les acteurs privés et communautés locales. Ainsi, ce programme vise à :
i. Etablir des règles transparentes pour le partage des revenus de REDD+ entre les différents bénéficiaires ;
ii. Créer un fonds national REDD+ qui pourra être géré par une Commission multipartite ;
iii. Mettre en place des systèmes efficaces de transfert des paiements vers les bénéficiaires ;
iv. Installer un processus de vérification indépendant ».
On reste un peu sur sa faim après la lecture d’un tel paragraphe. La rédaction de celui-ci semble indiquer qu’il s’agit de la mise en place d’une procédure de répartition d’une rente (REDD) et non de la mise en place d’un instrument économique rémunérant, conditionnellement, des changements de pratique et des contributions actives à la lutte contre la déforestation. En particulier, aucune proposition n’est fait pour trancher entre deux options qui font débat dans le domaine des PSE : faut-il payer pour une réduction (effective) de la déforestation ou pour le maintien de pratiques « business as usual » mais qui préservent le couvert forestier ? Doit-il y avoir des critères d’équité à envisager pour ces paiements ? Quelles sont les conditions de leur efficacité (risques de fuites, de non additionnalité…) ? Quels sont les effets pervers qu’ils pourraient engendrer (demande généralisée de rentes assorties de menaces de déforestation) ?
On ne peut que rejoindre les auteurs dans l’idée que les mesures structurelles concernant l’agriculture et le bois de chauffe sont les conditions de la réussite, et constituent une condition sine qua non de la mise en place de paiements pour services environnementaux, mais on peut aussi penser que la mise en place de programmes de paiements à grande échelle comporte des défis d’une extraordinaire complexité (y compris en termes de coûts de transaction) qui auraient mérité autre chose qu’un paragraphe d’une dizaine de lignes dans ce rapport.
[1] Nous nous situons, pour des raisons d’équité mais aussi d’efficacité, dans une perspective de rémunération prioritaire des familles et communautés locales pauvres, nous verrons que le rapport McKinsey n’adopte pas forcément cette perspective,